Une psychiatre nous parle des effets du manque de contact social sur la santé mentale Une psychiatre nous parle des effets du manque de contact social sur la santé mentale

Une psychiatre nous parle des effets du manque de contact social sur la santé mentale

Guides & Conseils

Photos Lost In Translation /Pathé

Texte Anthony Vincent

Partager l'article sur

Le Covid a bouleversé nos rapports sociaux et physiques, pouvant entraîner des conséquences sur le bien-être, voire la santé mentale. Une psychiatre nous éclaire.

Depuis l’arrivée du Covid dans nos vies, nos rapports sociaux et physiques ont été complètement bouleversés. Des confinements aux couvre-feux, on se voit plus difficilement et n’ose plus se faire la bise. Si certains se réjouissent de cet élan hygiéniste, d’autres personnes souffrent de ce manque de contacts sociaux. Et de son incidence sur le moral, voire la santé mentale.

Jules Viera, artiste français de 36 ans désormais basé à Bangkok, témoigne sur la façon dont la pandémie a changé son rapport au toucher : “J'ai grandi en Europe, où j'ai toujours été quelqu'un de très tactile. Je suis installé à Bangkok depuis 3 ans maintenant. La communication se fait différemment : je me rends compte que je fais moins de câlins, moins de tape sur l'épaule ou de bousculades tendres pour souligner une blague par exemple. Avec la pandémie, ça a amplifié cette distance physique, et finalement je trouve ça plus hygiénique, simple, et même apaisant. Pas besoin de stresser à l’idée d'une éventuelle mauvaise haleine ou odeur corporelle. En revanche, ce qui me manque vraiment, c'est la facilité perdue des contacts sociaux avec mes amis.”

L’artiste tactile a d’abord souffert de l’isolement des confinements avant d’apprendre à apprécier sa propre compagnie : “Les premiers mois de la pandémie ont été très difficiles et anxiogènes, je consommais beaucoup d'alcool notamment. Mais j'ai appris petit à petit à trouver une forme de bien-être en restant seul chez moi, à gérer mon moral plutôt que de le noyer, et à prendre soin de ma santé mentale qu’il était si facile de délaisser par de la bonne compagnie pré-pandémie. Dans mes nouveaux travaux, il y a beaucoup de mains pour montrer justement comment le Covid a changé nos rapports sociaux, et surtout aux contacts physiques.”

Interne en psychiatrie, Koucha nous explique l’importance qu’ont les contacts sociaux et le toucher pour le bien-être et la santé mentale : “Cela peut notamment être relié à la théorie de l’attachement : dès la première année de sa vie, un bébé développe un système d’attachement en fonction de sa relation avec au moins une personne (qu’on appelle “caregiver”) qui prend soin de lui de façon cohérente, adaptée, et rapide. Pour s'autonomiser, l'enfant a besoin d’explorer son environnement, et il le fera plus sereinement s’il sent qu’il a une base de sécurité, notamment affective. Le système d'attachement, c'est comme un oignon, avec en son cœur un noyau dur qui s'est construit dans cette cruciale première année de vie, puis d'autres couches qui s'y ajoutent (l'enfance, l'adolescence, etc). Ce n'est pas figé, les différentes couches modulent notre style d'attachement qui peut être secure, désorganisé, anxieux, etc.

En psychiatrie, on considère que beaucoup de troubles chez les adultes peuvent être reliés à des défauts dans la manière dont l'attachement s'est construit. C'est pour ça qu'on parle chez les adultes d'attachement secure ou insecure. Environ 60% de la population générale aurait développé un attachement insecure. Quand on est bébé, si l'on n'est pas sécurisé par l'autre, on peut littéralement développer des maladies physiques, voire se laisser mourir par dépression anaclitique. C'est dire à quel point on peut être dépendant du contact et de la relation aux autres.

Ce manque de contact peut également avoir une incidence chez les adultes.

Pendant la pandémie, cela a été le plus manifeste chez les personnes âgées, les jeunes adultes, et les adolescents. On a observé beaucoup de symptômes anxieux et dépressifs. Chez les plus âgés, on a même pu observer des syndromes de glissement : perte rapide et brutale d'autonomie pouvant aller jusqu'à des symptômes catatoniques (devenir complètement amorphe).

Chez les plus jeunes, les demandes ont explosé dans les services de pédopsychiatrie, notamment face à beaucoup de crises suicidaires.

En effet, chez les ados, les liens familiaux sont importants. Le système scolaire permet néanmoins d'entretenir des relations avec ses pairs aussi. Un ado qui se sentait isolé, incompris, au sein de sa famille a pu se sentir d'autant plus coupé de ses ressources que peuvent être ses amis, et donc complètement démuni, en détresse. Par ailleurs, la pandémie a aussi augmenté les consultations pour phobies scolaires, chez des ados qui ont développé une forme d'anxiété sociale à l'idée de retourner vers les autres. On ne peut pas résumer ces troubles psy uniquement à un manque de contacts sociaux et physiques, c’est souvent multifactoriel, mais ça a pu plus ou moins jouer, en effet.

Peu de choses peuvent remplacer les contacts sociaux et interactions physiques.

Ce qui peut aider, c'est de garder un rythme, planifier des choses, comme des menus, des petites activités à la maison, des balades en extérieur, ou même des rendez-vous téléphoniques avec des proches.”