Pourquoi il est temps de vous raser
Photos Tommy Ton
Texte Vadim Poulet
Partager l'article sur
L’évolution est formelle : la barbe ne servira bientôt plus à rien.
Certains hommes, comme le Revenant ou le héros de Seul au Monde, n’ont d’autres choix que d’arborer une barbe majestueuse. Placés devant la nécessité impérieuse de survivre, ils ont des préoccupations bien plus graves que le grooming, et leur choix n’a rien à voir avec la mode : le poil pousse en toutes circonstances, et il a en outre l’avantage de protéger des éléments. Ce n’est sûrement pas votre cas, vous dont les joues ont toujours trois jours, dont la barbe est bien huilée, dont la moustache est bien dessinée ou qui gardez votre visage imberbe.
Plusieurs raisons ont pu présider à votre choix de pilosité faciale : un menton à dissimuler, un visage à amincir, un peu d’âge à prendre... Vous n’êtes d’ailleurs pas tenu à la fidélité en cette matière, et pouvez prendre la liberté d’expérimenter et de découvrir de nouveaux horizons, peut-être même que votre partenaire vous a fait part de sa préférence. La pogonophilie est d’ailleurs l’interprétation qui vous paraît sûrement la plus logique lorsqu’il s’agit d’expliquer l’existence et la popularité de la barbe.
En effet, l’évolution est souvent déterminée par la sélection sexuelle, à travers laquelle les caractères les plus recherchés triomphent des autres, comme par exemple, la capacité à oser demander son chemin au lieu de tourner en rond. La pilosité faciale étant un des éléments différenciant les femmes des hommes, son développement pourrait avoir été favorisé par le succès dont bénéficient les barbus, et donc par son influence positive sur les opportunités de reproduction.
Peak Beard
Une étude sur le rapport entre séduction et barbes a d’ailleurs établi une conclusion a priori sans appel : plus grande est la proportion d’hommes se disputant un faible nombre de partenaires potentiels, plus les barbes et les moustaches sont à la mode. La raison en est simple, et n’est pas une question de supériorité d’un look sur l’autre. En effet, les études sont incapables de trancher en faveur de l’une ou l’autre alternative : les personnes interrogées montrent tout simplement leur préférence pour la caractéristique faciale la plus rare de l’échantillon, un phénomène appelé « sélection fréquence-dépendante négative ».
Le paradoxe trouve alors son apogée : la barbe ne doit son avantage en termes de séduction et de distinction qu’à sa rareté sur un marché extrêmement compétitif. Sauf qu’elle est aujourd’hui partout, et acceptée par tous. Sa présence sur vos joues n’est plus la marque d’une négligence ou d’une fainéantise prononcée devant laquelle parents et supérieurs hiérarchiques froncent les sourcils. La barbe de trois jours, celle d’Emmanuel Macron au retour de vacances, celle qui envahit les red carpets, ou la votre, au quotidien, car le rasage journalier n’est rien d’autre qu’un sacerdoce matinal, le prouvent : la barbe est normale, parfois même un prérequis dans certains milieux professionnels, et le poil rebelle est désormais rentré dans le rang.
Son succès, et la popularité du poil qu’il entraîne menace donc son fondement même. C’est le principe de peak beard, quand la différence s’efface devant le nombre.
La loi de la rareté
La raison d’être de la barbe est donc à chercher ailleurs, et des scientifiques avancent un second type de sélection sexuelle : pour trouver un partenaire, il ne suffit pas de lui plaire, il faut aussi triompher de la concurrence du même sexe. La barbe est, dans cette entreprise, un atout de distinction qui permet d’augmenter sa réputation auprès des autres hommes. Elle fait apparaître plus vieux, plus fort et plus agressif, établit un rôle de dominant et permet d’intimider certains rivaux, voire de les pousser à se retirer d’eux-mêmes - pensez à ce que fait Dan Bilzerian, mais, contrairement à lui, affichez une virilité apaisée. Votre barbe est autant un signal envoyé aux femmes qu’aux hommes, ce qui explique sa présence forte dans les cultures guerrières, notamment antiques, et dans les équipes de sport américains qui laissent pousser leur poil en période de play-offs. C’est (en partie) ainsi, grâce à l’autorité dégagée par sa barbe, que Genghis Khan est devenu le père génétique de 8% de la population de l’Asie.
En se répandant, les barbes perdent leur caractéristique distinctive, et leur utilité sociale régresse avec l’érosion de leur rareté. Les fluctuations de la mode l’illustrent particulièrement, puisque si dans les années 1890, 90% des représentations d’hommes dans le London Illustrated News portaient le poil au visage, ils n’étaient plus que 20% dans les années 1970. Une évolution qui ne laisse aucun doute sur le fait que redevenir glabre pourrait être, à l’approche de la saison des plages, une décision payante. D’autant plus que votre peau vous en remerciera.
C’est pourquoi, cet été, n’hésitez pas : sortez découvert.