J’ai toujours pensé que je buvais beaucoup de café. Le matin, je commençais ma journée en me préparant un café dans ma cafetière à piston. Au travail, un espresso. Plus tard, je passais une commande un peu sophistiquée au café du coin, avant de finir ma journée en buvant beaucoup de thé. J’ai ensuite quitté le Royaume-Uni pour m’installer aux États-Unis, plus exactement dans le Nord-Ouest Pacifique, haut lieu du café. J’y ai appris qu’aux yeux des consommateurs de cafés américains, je n’étais qu’un novice. En tant qu’Européen, j’avais pour habitude de consommer le bon café, à la bonne heure et jamais de caféine après 18 heures. Ici, il était toujours l’heure de boire un café, et surtout, aucune tasse n’était jamais assez forte.
Les premiers mois dans mon nouveau pays se sont déroulés dans un flou caramélisé et grillé. Je descendais au moins une cafetière chaque matin, puis je continuais de boire dans l’après-midi, avant de boire une tasse de Red Eye au restaurant le soir. J’ai rapidement atteint le statut d’habitué dans le café franco-canadien à côté de chez moi où les employés préparaient ma commande dès qu'ils me voyaient arriver. Je n'étais pas devenu un snob du café pour autant, et j’acceptais volontiers toute tasse de café instantané que l’on avait le malheur de me tendre. À vrai dire, je ne refusais rien qui soit en rapport avec le café : crème glacée, gâteau, bière, et la liste est longue. Chaque anniversaire/Noël apportait son lot de gadgets pour moudre ou infuser que je peinais à ranger dans des placards déjà pleins.
Depuis, la caféine a sans doute été l'un de mes plus grands amours (je me permets d'ajouter « sans doute » au cas où la personne avec qui je partage ma vie tomberait sur cet article). La caféine m'a aidé à rendre des articles dans les temps, à me faire des amis dans les cafés du coin et à découvrir ma ville en explorant ses divers cafés, boulangeries et torréfacteurs. Attention, cela ne veut pas dire pour autant que cette relation a été harmonieuse, loin de là. Elle a eu des conséquences, devenant même aussi amère qu’un café surchauffé. D’ailleurs, cela va faire quelques mois que nous ne nous parlons plus.
Le confinement s’est avéré être l’occasion parfaite d’arrêter ma surconsommation de café et d’essayer de nouvelles boissons chaudes. Tout n’a pas été facile, mais je n’ai pas consommé de caféine depuis 10 semaines et cette période d’abstinence m’a permis de percevoir les conséquences de cette habitude un peu plus clairement.
Masquer l'épuisement
Ce n'est que lorsque j'ai complètement arrêté la caféine que je me suis rendu compte de l’état de fatigue dans lequel je m’étais mis. Après une période de consommation de caféine particulièrement intense – une semaine ou plus de tremblements et d’haleine discutable - j'atteignais un état légèrement surréaliste, où les pièces semblaient se construire au moment où j'ouvrais la porte, et où les visages des gens apparaissaient juste à temps pour que je les voie. Il s'avère que c'est ce que les médecins et Internet appellent l'épuisement.
En faisant une recherche Google pour tenter de m'assurer que je n'allais pas tomber dans un coma post-caféine, je suis tombé sur cette étude réalisée par des scientifiques brésiliens et anglais, qui surveillaient l'endurance de cyclistes fortement caféinés. Ils ont découvert que la caféine améliorait considérablement l'endurance du cycliste, mais uniquement parce qu'elle réduisait la perception de l'effort, et non l'effort lui-même (plus précisément, la fatigue neuromusculaire.) En d'autres termes, la caféine avait perturbé mon cerveau à un niveau normalement réservé uniquement aux drogues dures, et ce que je ressentais était en contradiction directe avec l'état réel de mon corps.
Descentes caféinées
En tant que caféinomane réformé, j'erre maintenant dans les rues de ma ville post-confinement, thermos de camomille ou de menthe marocaine à la main, et je jette un œil par les fenêtres de mes anciens repaires désormais vides, inquiet quant à leurs chances de réouverture. J'ai été réprimandé plus d'une fois pour avoir fourré mon nez masqué dans les cafés fraîchement servis des autres et de les avoir interrogés sur les subtilités du café qu’ils avaient choisi. Un coup d'œil à mon historique de recherche YouTube révèle un intérêt presque malsain pour les critiques de marques de café et les conseils de préparation...
Cela m'a fait réfléchir à la façon dont le café est devenu si rapidement une pierre angulaire de ma routine quotidienne. Une fois le café retiré de ma vie, d'autres choses, en apparence sans rapport, sont devenues instables : j’ai constaté une baisse de mon efficacité et de mon énergie au travail, ainsi que des fluctuations d'humeur. En bref, tous les signes classiques d'une personne qui devient dépendante d'une substance ou d'une influence extérieure et qui est en manque.
Je savais déjà que j'étais devenu très attaché à la caféine, mais étais-je vraiment dépendant ? Dépendant comme on peut l’être d’autres substances ? Le genre de dépendance qui exige un véritable travail sur soi ? Si on se fie aux études scientifiques, oui, peut-être. Une citation tirée d’une analyse du Journal of Risk Management de 2018 m'a frappé. « À cause de sa très courte demi-vie, les consommateurs réguliers de café souffrent d’une privation de caféine chaque nuit. » J'avais effectivement ressenti cette « descente » quotidienne, sans pour autant y accorder vraiment d’attention. Pour être honnête, je vois maintenant que ces descentes sont synonymes de mauvaise humeur et marquent souvent le début d'une nouvelle journée de surconsommation.
Je sais déjà que je consommerai de nouveau de la caféine un jour ; en vérité, j’ai déjà presque du mal à écrire cette phrase sans me préparer un café chaud. Mais les dernières semaines m’ont permis de me rendre compte de l’évidence : le café est un stimulant réel et puissant et il mérite d’être reconnu à ce titre. D’ailleurs, je ne saurai assez recommander à tout le monde de faire la même expérience que moi. Qu'il s'agisse de café, d'alcool, de cigarettes ou de toute autre drogue socialement acceptable, offrez-vous la possibilité de prendre du recul par rapport à vos habitudes quotidiennes, de surveiller votre humeur et votre état d’esprit, et de voir quels liens peuvent exister entre eux.