Instagram et moi Instagram et moi

Instagram et moi

Témoignages

Photos Antoine Testu

Texte @PAM_BOY

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Comment les likes peuvent créer une addiction, et comment PAM BOY, journaliste, en est sorti.

Chaque mois, 1 milliard d'humains utilisent Instagram, s'échangeant plus de 42 milliards de "likes". Rien d'étonnant à ce que, entre une photo de Matcha latte et un paysage idyllique et un selfie torse nu puissent se développer complexes et addictions. Nous avons demandé à PAM BOY, journaliste mode réputé pour son utilisation d'Instagram, de nous raconter son rapport à la plateforme.

Par nature, l’Homo sapiens est un être particulièrement sociable. Nous aimons interagir avec les autres membres de nos communautés. Depuis Internet et l’invention des réseaux sociaux, ces interactions sont devenues illimitées, mondiales et continues. Comprendre le rôle et l’impact que les réseaux sociaux peuvent avoir sur nous demande énormément d’introspection. Les réseaux sociaux sont à la fois une bénédiction et une malédiction. Ils peuvent nous sauver ou causer notre perte.

La soif de likes

Je me souviens encore de mes débuts sur Instagram, aux alentours de 2013. Je m’en servais pour partager des photos de cafés latte, de fleurs et d’illustrations, comme tous mes amis. Je n’imaginais pas que l’on puisse se servir de cette nouvelle plateforme numérique pour faire quoi que ce soit d’autre. Autour de moi, Facebook était encore le réseau social le plus populaire (j’ai arrêté d’utiliser Facebook quotidiennement en 2016), et l’environnement brouillon et violent de Twitter me terrorisait. Lorsque mes photos de cafés latte, de fleurs et d’illustrations ont arrêté d’intéresser mes followers, j’ai changé de stratégie. La formule était plutôt simple : une photo torse nu (avec « nouvelle coiffure » en légende pour faire comme si de rien n’était) accompagnée de quelques hashtags bien sentis et le tour était joué ! Autant mes cafés latte et mes fleurs n’intéressaient personne, autant ces photos-là étaient très populaires. Je n’avais jamais ressenti un tel pic de confiance en moi. Instagram est devenu mon héroïne numérique et il me fallait ma dose quotidienne. Ma petite communauté de moins de 1 000 followers grandissait assez vite, mais chaque nouveau follower provoquait une réaction en chaîne dans mon cerveau. Je me servais d’Instagram comme usine de production de dopamine pour mon système nerveux central, et putain que c’était bon. La dopamine est une molécule biochimique qui est à la fois une hormone et un neurotransmetteur. On la nomme souvent la molécule ou l’hormone du plaisir. Elle est associée à la nourriture, à l’amour, au sexe, au sport, au jeu et à la drogue. Dès que l’on s’adonne à ces activités, notre cerveau sécrète de la dopamine qui vient nourrir notre système hédonique. Et notre cerveau n’est pas capable de différencier les divers stimuli qui provoquent l’envoi de dopamine au noyau accumbens, un ensemble de neurones sous le cortex cérébral qu’on appelle le centre du plaisir. Des années plus tard, j’ai appris qu’un chercheur de l’université d’Harvard, Trevor Haynes, a identifié les notifications comme déclencheurs de sécrétion de dopamine. Et après la première dose de dopamine, que se passe-t-il ? On en veut toujours plus, évidemment. Je sais que c’était le cas pour moi, en tout cas. C’est comme ça que commencent les addictions. Etymologiquement, “addiction” vient du mot latin désignant l’adjudication, la privation de liberté. Ces shoots quotidiens de dopamine étaient tellement agréables et peu importe que mon corps, le corps noir, soit réduit à un simple objet. Ça faisait partie du jeu. A force de recevoir des messages vulgaires j’avais l’impression de devenir une coquille de plus en plus vide.


"Si mon corps était rendu à l’état d’objet, c’est d’abord parce que je me considérais comme tel"

Alors qu’Instagram commençait à devenir une plateforme prisée du monde de la mode, l’idée d’en faire un outil de travail en tant que journaliste et rédacteur spécialisé dans le domaine devenait de plus en plus prégnante. J’ai ainsi pu sortir de la spirale de posts torse nu et racoleurs dans laquelle je m’étais enfermé. Ce changement de direction m’a permis de me rendre compte que si mon corps était rendu à l’état d’objet, c’est d’abord parce que je me considérais comme tel. Et tout cela au détriment de la carrière de journaliste sérieux que je m’étais promis de construire, évidemment. J’ai donc décidé d’utiliser les réseaux sociaux pour mettre en avant mes talents professionnels et les années de recherche qui occupent une grande partie de mes cellules grises plutôt que d’afficher mon corps. Je me suis dit « tu es un journaliste, pas un bodybuilder ». A la suite de cette décision, ma relation avec Instagram a immédiatement changé. Cela m’a aussi permis de me rendre compte de l’effet plus profond et potentiellement néfaste qu’Instagram avait eu sur la perception que j’avais de moi-même. Le retour à la réalité fut rude. Il n’existe pas de filtres Instagram dans la vraie vie. Pas de masques numériques derrière lesquels on peut cacher nos émotions, nos sentiments, nos peurs et nos erreurs. Je ne voulais plus me cacher. J’avais tant à offrir en étant simplement moi-même. J’ai aussi envisagé de changer mon pseudo, d’abandonner Pam Boy pour utiliser mon vrai nom. Ce que j’ai fait, avant de revenir en arrière. En termes de branding, Pam Boy c’est quand même beaucoup mieux. Au départ, les critiques et articles sur la mode que je postais sur mon compte n’ont pas vraiment changé ma vie. Mais, si les retours n’étaient pas aussi enthousiastes que je l’espérais, au moins les messages et commentaires que je recevais concernaient mes écrits et non plus mes abdos. C’était toujours bon pour ma confiance, mais beaucoup moins destructeur, à mon avis. Fini les comparaisons malsaines avec des personnes dont le corps avait visiblement été taillé dans le marbre et dont les visages reflétaient un idéal de beauté imposé par la société. Tant mieux pour eux.

Comment mon travail m'a appris à m'aimer physiquement

Mon travail de journaliste et de rédacteur mode m’a appris à m’aimer physiquement. Ça peut paraître étrange, mais j’ai appris à m’accepter moi, ainsi que la peau noire que j’estimais jusque-là être un obstacle dans la vie. Comme j’avais tort. Lors de mes études à Central Saint Martins à Londres, j’évoluais dans un environnement résolument blanc, et ça m’a fait douter de mes capacités. Etais-je assez bon ? Etais-je à ma place ? Dès lors que mon travail a commencé à être reconnu et que ma voix a commencé à être entendue, ces questionnements ont cessé. J’avais compris que la couleur de ma peau n’était pas ma principale caractéristique. Je n’avais pas changé les règles du jeu, j’avais simplement changé de sport. Je ne vois plus l’intérêt d’utiliser les réseaux sociaux dans l’unique but d’exalter mes tendances narcissiques. J’ai donc appris à utiliser Instagram, Twitter, et plus récemment Tik Tok, à mon avantage afin de protéger ma santé mentale. Il m’arrive de m’asseoir pendant une heure et de ne même pas penser à mon téléphone. J’ai éteint les notifications pour tous les réseaux sociaux sur lesquels je suis présent. Je n’ai pas besoin de poster des photos de moi torse nu pour attirer l’attention des gens, même si j’avoue poster un petit « outfit of the day » de temps en temps, pour le plaisir. Mon esprit et mon intelligence suffisent. J’ai réussi à rassembler autour de moi toute une communauté de followers qui m’estiment pour qui je suis, et avec lesquels je partage une expérience. Au final, j’ai toujours la dopamine comme récompense, mais l’effet n’est clairement plus le même.