

Ma santé mentale et moi
Photos Antoine Testu
Texte Sébastien de Turenne
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Sébastien raconte comment il a décidé de parler de ses problèmes pour mieux les affronter.
"- Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de venir au CMP ?
- Je sens que je ne vais pas bien, je ne sais pas pourquoi mais je n’y arrive plus.
- Vous n’arrivez plus à quoi ?
- A vivre."
Je n’ai jamais aimé les lundis. En toute franchise, je n’apprécie pas non plus les autres jours de la semaine, tout du moins ceux qui impliquent d’aller au travail. Mais là, c’était différent. La nuit avait été ordinaire. Au réveil, c’est pourtant une chape de plomb qui m’attend. D’un seul coup, je me retrouvais appesanti par toutes les responsabilités et tous les problèmes du monde. Comme enveloppé d’un brouillard épais, sauf qu’en guise de pollution, il n’y avait autour de moi que de la mélancolie, du stress et de l’angoisse. Peu importe, il fallait aller travailler, et j’étais persuadé qu’il me faudrait quelques heures pour retrouver un état normal. Après tout, qui n’a jamais vécu un jour sans ?
C’était il y a 5 ans. Entre temps, et comme souvent dans la vie, ma situation a empiré avant de s’améliorer. D’abord, le sommeil. Puis mon alimentation. L’appétit coupé. Je ne mangeais plus, ou alors je me gavais jusqu’à avoir mal au ventre. Des sautes d’humeur, aussi. Une colère si présente que des scénarios de violence déclenchés par la moindre contrariété me laissent les mains tremblantes au moins trois fois par jour.
Le point de non-retour
Alors que je me retrouve un jour au bord des larmes à la sortie du RER, anéanti à l’idée même d’aller gaspiller 10 heures de ma journée assis derrière un bureau à enrichir des personnes pour lesquelles je n’ai aucun respect, je prends une décision exécutive. Fini ce travail. La vie d’employé ? Très peu pour moi. A d’autres, on ne m’aura pas avec cette arnaque. Je pars donc, quelques semaines plus tard, rupture conventionnelle sous le coude.
Il s’avère que même si mon occupation avait un caractère aggravant, elle m’offrait le dernier semblant de structure dans une vie qui était clairement en train de s'émietter comme un vieux gâteau sec. Peu à peu, j’ai arrêté de manger, de boire, de me laver et de sortir de mon lit. Rien n’existait à part cette souffrance incompréhensible, cette incroyable apathie. Finalement, épuisé, je me suis retrouvé assis sur le rebord de ma fenêtre, au 6ème étage de mon studio dans le plus bel arrondissement de Paris, le 11ème. Je ne sais pas exactement pourquoi je n’ai pas sauté ce jour-là, je me rappelle simplement que j’avais froid.
“Réussir à exister de nouveau, avant de recommencer à vivre”
A la suite de cette première confrontation directe avec la gravité et surtout la facilité avec laquelle j’avais enjambé un rebord de fenêtre somme toute assez élevé, je me suis tourné vers ce que beaucoup d’adultes considèrent comme une solution de dernier recours : j’ai parlé à mes parents. Sous l’impulsion de mon père, infirmier psychiatrique de métier, j’ai appelé le centre médico-psychologique le plus proche de chez moi. Les CMP sont des établissements publics où n’importe qui peut aller consulter gratuitement des spécialistes de la santé mentale (merci la sécu). J’ai passé ce coup de fil la boule au ventre. J’oscillais entre deux extrêmes. D’un côté, la peur de me voir dire que mon cas était irrattrapable. De l’autre, la honte de savoir que peut-être que ma souffrance, sur l’échelle des souffrances reçues au CMP, n’était rien du tout. C’était aussi ça la détresse mentale : on se retrouve démuni de tout pragmatisme. Fort heureusement, l’accueil que j’ai reçu au CMP était exemplaire. Du premier contact à la première consultation, j’ai eu l’attention que je ne pensais pas mériter. Mon premier rendez-vous avec une psychiatre a donné lieu à une séries de questions, toutes posées avec bienveillance. Des questions auxquelles je pouvais répondre.
Cette session a mené au diagnostic suivant : dépressif avec des tendances borderline. Rien de trop surprenant, mais l’entendre de la part d’une tierce personne, d’une spécialiste qui plus est, m’a fait énormément de bien. Comme quoi, on a beau avoir envie de mourir, la validation d’autrui n’en perd pas pour autant son importance. Je me suis ensuite vu proposer un traitement pour, dans un premier temps, réussir à exister de nouveau, avant de recommencer à vivre.
Ainsi, j’ai de nouveau pu m’extraire de mon lit. Assisté de mes petites roulettes médicamenteuses, j’ai pu commencer à marcher de nouveau, un pas à la fois. Après quelques mois de suivi rapproché et satisfait de l’effet des molécules, la psychiatre m’a conseillé d’attaquer une psychothérapie.
Autant je n’ai pas hésité une seconde à accepter d’avaler des médicaments en doses relativement fortes, autant j’ai dû me forcer à parler à une psychologue. Je suis heureux de l’avoir fait car ces séances m’ont permis (liste non exhaustive et sans ordre d’importance) :
De comprendre ma relation au travail, à la nourriture et à l’argent (pas ouf).
De tenter de mettre le doigt sur le commencement de cette situation (très, trop jeune).
De voir les choses d’un angle différent (pas facile quand ça fait 6 mois qu’on ne pense qu’à soi).
D’apprendre à mieux me connaître (travail en cours).
D’apprendre à être honnête avec ma famille et mes amis (difficile).
D’apprendre à être honnête avec moi-même (très difficile).
De manière plus générale, j’ai appris à vivre avec ma maladie, et à ne plus considérer mon état comme anormal.
Le mal du siècle
Quelques chiffres pour appuyer cette dernière déclaration. En France (et plus généralement en Europe occidentale), trois-quarts des victimes de suicide sont des hommes. Pour les nuls en fractions, ça fait 75 %. Le suicide est la première cause de mortalité des 25-34 ans, avant les accidents de la route et le cancer. SOS Amitié rapporte que, des causes de souffrance évoquées au cours des appels qu’ils reçoivent abordant le suicide, c’est la solitude qui est le plus souvent invoquée. Ainsi, non seulement le suicide est-il un mal particulièrement masculin, mais en plus il est lié à des causes d’une banalité terrifiante.
Les maladies mentales ne sont l’apanage de personne. Il existe autant de formes de souffrance, de dépressions, de coup de blues, de spleens, qu’il y a de cerveaux. Nul besoin d’être un traumatisé de la vie. Et surtout, il n’existe aucune forme de hiérarchie de la douleur pour ces maux qui, de par leur nature, sont subjectifs.
Alors il faut en parler. En parler pour soi, pour aller mieux, pour le bien collectif. Moins le bien-être mental sera stigmatisé, plus vite les gens cesseront d’en mourir. Il faut être attentif, s’écouter soi et les autres. La résilience c’est bien, mais pas à n’importe quel prix. Il faut être empathique. On ne choisit pas d’être mal, dépressif ou malheureux, il ne s’agit pas simplement de se « mettre un coup de pied au cul ». Vous diriez à un lépreux qu’il suffit simplement qu’il arrête de se gratter ? Il faut être patient. Il faut accepter d’être vulnérable. Il faut comprendre que l’on a guère pire juge que soi-même. Il faut intégrer qu’Instagram ça n’est pas la vraie vie, et que se comparer à des bonheurs mis en scène, c’est extrêmement dangereux. Il faut être attentif à son hygiène de vie. Manger trois repas par jour à des heures normales et dormir au moins 6h par nuit, ça peut sauver la vie. Qui l’eut crû.
Si aujourd’hui j’ai encore beaucoup de questions sans réponses, je sais désormais que c’est le lot de beaucoup de personnes. D’autant plus que toute question n’appelle pas forcément une réponse. Si j’ai parfois des jours plus compliqués que d’autres, je sais que ça n’est que passager. Si j’ai toujours du mal à me projeter tant l’idée de mourir avant l’âge de 40 ans a du mal à me quitter, je sais que je peux en parler à mes proches et à des spécialistes, et que chaque conversation avec eux m’éloigne du rebord de la fenêtre.
*********Si vous vous sentez seul, isolé, malheureux, déprimé, au bout du rouleau, et que vous n’avez personne à qui en parler, vous pouvez appeler SOS Amitié (09 72 39 40 50). Il y aura toujours quelqu’un pour vous écouter.
Il y a des CMP partout en France. Ceux-ci sont ouverts à tous, et gratuits pour tout le monde.