Mon corps et moi Mon corps et moi

Mon corps et moi

Témoignages

Photos Antoine Testu

Texte Pauline Allione

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Cinq hommes parlent de leur rapport à leur corps.

Ça fait quoi d’être un homme petit, gros, maigre ou en fauteuil roulant, en 2020 ? D’avoir un corps qui ne colle pas avec “l’idéal” véhiculé dans les publicités, les films ou les magazines ? Alors que le mouvement body positive libère doucement les femmes des normes de beauté, notamment via les réseaux sociaux, l’incitation à accepter son corps tel qu’il est reste encore timide chez la gent masculine. Le cliché de l’homme idéal a pourtant la peau dure, les cinq hommes que nous avons rencontré en savent quelque chose. Pour gommer ce modèle, ils ont accepté de nous parler de leur rapport à leur corps, de leurs complexes et de leur idée de la beauté.

Le casting

Olivier, 20 ans, étudiant en management d’entreprise dans la région parisienne

Stevie, 27 ans, plus connu sous le nom de @bopo.boy sur Instagram. Suivi par plus de 17 000 abonnés, cet activiste britannique est engagé pour le mouvement body positive et les droits LGBTQIA+.

Axel, 20 ans, étudiant en infographie à Bordeaux.

Romain, 34 ans, qui travaille chez les sapeurs-pompiers. Tétraplégique suite à un accident, il parle librement de son handicap sur Instagram, où il se fait appeler @roro_le_costaud.

Karim, alias Karimood sur les réseaux, 22 ans. Originaire de Marseille, il suit des études dans le milieu de la mode.

Pas dans la “moyenne”

Stevie : Contrairement aux corps que nous voyons souvent dans les magazines et à la télé, mon corps est mou, potelé et couvert de cicatrices provenant de multiples chirurgies subies tout au long de ma vie.

Karim : Depuis que je suis tout petit j’ai toujours été plutôt mince, mon poids varie entre 50 et 53 kilos. J’ai beau manger ce que je veux je ne prends pas un gramme, j’ai un métabolisme hyper rapide.

Axel : Je suis petit, je fais 1,61 m. Une grande partie de ma famille est de petite taille donc j’étais destiné à les rejoindre. Déjà à l'âge de 11 ans, je ne prenais plus qu'un seul centimètre par an.

Romain : J’ai eu un accident de ski en janvier 2012 en Haute-Savoie qui a provoqué une fracture au niveau des cervicales avec atteinte de la moelle épinière, ce qui m’a laissé tétraplégique.

Olivier : Je suis plus grand que la moyenne, je mesure 1,93 m. J’ai grandi assez tôt, déjà en troisième, je faisais 1,81 m.

Complexes et acceptation

Axel : Ma taille me différencie des autres, et comme j'aime les personnes originales, ça me correspond bien au final. En général, on se souvient de moi par ma taille. Mais par moment, être plus petit que les autres me fait me sentir à part, j’ai l’impression d’être dans ma bulle.

Romain : À l’hôpital, j’ai perdu 10 kilos de muscles en un mois à cause de l’inactivité. J’étais très sportif avant, j’aimais bien mon corps, mes pectoraux, mes abdos, etc. et quand ça a commencé à fondre je me suis dit merde, quelle horreur, j’aimais bien être musclé. Et au début en fauteuil je faisais très attention à ça, je faisais beaucoup de sport parce que ça me faisait du bien, ça contribuait à maintenir le peu de muscles qui me restait. Et petit à petit j’ai réalisé que l’apparence n’était pas si importante, le sport me faisait surtout du bien mentalement et physiquement.

Olivier : Quand on est grand, le seul truc chiant, et encore, c’est que dans le métro, si je veux passer tout droit, je vais toucher la porte… Mais quand c’est blindé de monde c’est plutôt un avantage, au contraire des personnes plus petites qui ont vraiment la tête au milieu des gens.

Karim : C’est un complexe quand je me regarde dans le miroir, quand je dois enfiler un short l’été ou lorsque je dois m’habiller. Je vais souvent au rayon femme, surtout pour les jeans. Chez l’homme on a l’impression que tout le monde fait un 42-44 alors que pas du tout, il y a toutes formes de corps et certains taillent du 34-36. C’est aussi un complexe en amour, j’ai déjà reçu des réflexions sur mon poids… Parfois j’ai l’impression qu’il faut être musclé pour plaire aux gens.

Stevie : Je crois que notre relation à notre corps ne change jamais. Un jour, nous pouvons nous sentir bien dans notre corps et un autre jour moins bien, ce qui est important c’est de comprendre que nous sommes bien plus que notre corps.

Romain : Je me suis rapidement dit que je n’avais pas le choix. J’étais comme ça, il fallait vivre avec. Accepter de voir mon corps changer a été un peu plus compliqué, mais c’est venu avec le temps, notamment grâce aux réseaux sociaux. Au départ, timidement je ne montrais que mon buste en photo, je n’aimais pas voir mon fauteuil. Et plus ça allait, plus je reculais l’appareil photo. Ma vision de la beauté a changé en même temps que mon corps a changé. La beauté pour moi, c’est une globalité et sans ce fauteuil je me trouve moins beau maintenant, tout simplement. Le fauteuil c’est mon quotidien, c’est mes jambes, il fait partie de moi, sans lui je ne suis rien du tout.

Le passage compliqué de l’adolescence

Axel : Ma taille me causait plus de problèmes plus jeune, avec les autres garçons adolescents qui voulaient montrer qu’ils étaient les plus forts. J’ai d’ailleurs suivi un traitement par l’hormone de croissance à l’âge de 13-14 ans, ce qui m’a permis de prendre quelques centimètres. Mais maintenant, en études supérieures, nous sommes généralement plus matures et nous n’avons plus besoin de prouver quoi que ce soit.

Karim : Au collège je me faisais harceler parce que j’étais maigre. Je pensais que j’allais pouvoir grossir en buvant de l’huile d’olive, donc j’ai essayé d’en boire une cuillère et je me suis étouffé. Plusieurs fois j’ai tenté des régimes où je devais manger plein de fois dans la journée, à n’en plus pouvoir… Et récemment, j’ai essayé, sans succès, les compléments alimentaires à base fénugrec, une plante qui est sensée ouvrir l’appétit, et donc faire prendre du poids.

Olivier : Quand j’étais plus jeune je n’aimais pas ma taille, je disais toujours que je voulais être plus petit, parce que quand tu es mince, être grand accentue l’impression de maigreur. Au collège par exemple, je suis arrivé dans une nouvelle classe, et tout le monde était plus petit que moi. À cette époque je me sentais presque à part, je n’étais pas dans le truc.

Stevie : J'ai passé la majorité de ma vie à lutter contre mon corps. J'ai commencé mon premier régime vers l'âge de dix ans et j'ai continué à essayer chaque régime, complément minceur, et à élaborer tous les plans imaginables. Et alors que mon corps avait changé et que j’avais perdu une quantité de poids considérable, je n’étais toujours pas heureux, je restais convaincu que mon corps n'était pas assez bien. Je me suis retrouvé avec un nouveau lot d’inquiétudes par rapport à mon corps, comme les vergetures et l’excès de peau.

Le décalage avec les idéaux de beauté véhiculés par la société

Romain : Les photos que je fais sur Insta, il y a quelques années je ne les aurais jamais faites, je n’aurais pas accepté de montrer mon corps, mon ventre… Il n’y a pas d’abdos, je n’ai pas de pectoraux, mes bras sont tout fins parce qu’il manque des muscles que je ne peux pas travailler. Mais petit à petit, j’ai appris à passer au dessus, à me dire : “Ce n’est pas vraiment important, montre aux autres que tu t’en fous”. Et c’est justement à ce moment-là qu’on réalise que finalement, les autres aussi s’en foutent.

Karim : Je reçois souvent des réflexions, du style “Mais tu manges ?” ; “Tu es bien maigre” ; “Est-ce que ça va ?”... Il y a vraiment un truc avec les gens maigres, on peut se foutre de leur gueule, leur faire des réflexions, leur dire tout et n’importe quoi, parce que dans notre société, il vaut mieux être maigre que gros. La grossophobie c’est mal, mais la “maigrophobie”, on peut se le permettre.

Axel : La plupart du temps je me sens à l’aise avec mon corps, sauf quand une femme me rejette à cause de ma taille. Il y a cette idée que les femmes doivent avoir un copain plus grand qu’elles, donc très souvent leur premier critère concernant leur homme idéal, c’est qu’il soit grand. Les films, les séries et les pubs ont inculqué l’idée qu'un homme doit être protecteur et fort, donc grand. Je l’ai déjà ressenti de nombreuses fois avec les femmes. Sur les sites de rencontres, je me sens obligé de préciser ma taille dans ma biographie. Et même quand la fille connait ma taille, il arrive qu’elle ne donne pas suite à un rendez-vous à cause de ça.

Karim : Parfois ça m’énerve parce que j’ai l’impression d’être plus faible. Les gens pensent que je ne sais pas me défendre, que je suis moins costaud, que j’ai moins de poids, même dans la société... C’est peut-être bizarre de dire ça, mais parfois j’ai l’impression d’avoir moins de poids comparé aux autres.

Olivier : La différence de taille s’est réduite avec le temps, les autres ont commencé à me rattraper. Il y a toujours une différence aujourd’hui mais ce n’est pas choquant, je n’ai aucun problème avec ça. Là par exemple je suis en études supérieures et je n’ai jamais eu de remarque négative, au contraire. Finalement c’est un avantage sur certains points, dans pas mal de sports notamment. Le basket, les sports de raquette… Quand je faisais de la boxe j’avais plus d’allonge, j’étais moins exposé.

Stevie : Les hommes sont toujours vus comme étant “forts” et “robustes”, et admettre qu'ils ne sont pas heureux dans leur corps est considéré comme émasculant. Mais nous sommes de plus en plus conscients de l'image de soi et de la santé mentale, et nous commençons à avoir des conversations plus ouvertes sur ces sujets. Les hommes s’ouvrent davantage et parlent plus facilement de leur rapport à leur corps.

Montrer son corps sur les réseaux

Romain : Être présent sur les réseaux est important pour moi dans le sens où il y a des gens qui peuvent se retrouver dans cette situation du jour au lendemain. Beaucoup en souffrent et n’arrivent pas à l’accepter, ou n’imaginent pas tout ce dont ils sont capables. Et puis se montrer permet de faire évoluer le regard des autres, ce n’est pas parce qu’on est en fauteuil qu’on n’est pas bien dans sa peau. Si on arrive à faire changer la vision des gens, les regards seront peut-être moins insistants et ce sera plus normal. Porter un fauteuil, ce sera comme porter des lunettes.

Stevie : Sur Instagram, mon feed était rempli de nombreux modèles masculins qui avaient tous ce que la société définit comme le corps “parfait”. Je scrollais, et je voyais ces hommes qui me faisaient me sentir mal dans mon corps et me poussaient encore plus loin dans le cercle vicieux de la haine de soi et de la culture du régime alimentaire. Puis un jour, j’ai vu la photo d’une femme avec des formes dans mon onglet Explorer. Elle était en bikini sur une plage, assise avec ses bourrelets du ventre apparents, et elle avait le plus grand sourire que j’aie jamais vu. C’est là que j’ai réalisé que j'avais perdu tellement de ma vie, à essayer de devenir quelqu'un d'autre, de perdre du poids et de changer mon corps pour être heureux.

Romain : Depuis peu j’ai lancé une chaîne Youtube sur laquelle je fais du pratico-pratique. Quand j’ai eu mon accident j’ai vachement été sur Youtube pour regarder comment faisaient les autres avec leur fauteuil, pour aller dans leur voiture, etc. Donc j’essaie de faire la même chose, de donner mes trucs et astuces pour faire gagner du temps à ceux qui un jour pourraient se retrouver dans cette situation.

Stevie : J'ai commencé à suivre de nombreux comptes body positifs et à lire tous les livres qui me tombaient entre les mains sur le sujet. J'ai remarqué que très peu d’hommes en parlaient, et j’ai pensé que je pourrais combler ce vide. Quelques semaines après avoir posté ma première photo, mon compte était devenu viral. La quantité de retours positifs est incroyable, je me réveille tous les matins avec des messages d'inconnus me remerciant d'avoir créé un espace sûr pour qu'ils discutent de leur rapport à leur corps.

Aujourd’hui, quel est ton rapport à ton corps ?

Olivier : Quand je faisais de la muscu je me sentais bien, j’étais plus à l’aise dans mon corps. Ça va faire un an que j’ai arrêté, mais il faudrait que je me remette au sport.

Axel : Le sport et plus particulièrement le fitness m'ont permis de prendre confiance en moi et en mon corps, pour m’assumer pleinement. Ça m’a permis de développer un gros mental de battant, et de me tailler un physique plus sec et musclé que la moyenne… Ce qui me donne un autre atout pour contrebalancer ma petite taille, notamment avec les filles, car le physique est malheureusement hyper important de nos jours.

Karim : Parfois j’en suis fier, parce que je suis différent et qu’il y a de la beauté dans tout. J’ai des amis qui trouvent mon corps vraiment beau et ça me rassure, je me dis que je suis bien comme ça. Mais parfois je déteste mon corps, je vois mes bras, mes jambes et je pense que j’ai le corps d’un mec de 16 ans. Il y a vraiment ces deux facettes, mais quand je vais sur Instagram et que je vois des artistes inspirants comme Yseult, qui me fait rêver, je me dis : “Merde quoi, on est beaux”.

Romain : Le handicap, je ne vais pas dire que c’est génial, je ne peux pas dire ça. On rencontre des difficultés, des emmerdes, il m’arrive d’avoir des moments moins biens, comme tout le monde. Mais à côté de ça, mon handicap m’a tellement fait évoluer. Il y a toujours des inconvénients du handicap qui m’emmerdent, mais si j’enlève ça, honnêtement, je suis très heureux comme je vis aujourd’hui.

Stevie : Mon corps représente l'authenticité, je ne m'efforce plus de changer qui je suis et ce à quoi je ressemble pour coller aux idéaux sociétaux qui définissent ce que c’est que d'être un homme. Au lieu de ça, j’emmerde profondément le patriarcat, en existant simplement comme je suis. Nos corps sont tous uniques et différents et cette unicité est ce qui fait la vraie beauté de ce monde.