“Comment mes poils sont devenus un véritable complexe”
Photos D.R.
Texte Clément Laré
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Associée à la virilité, l’absence de poils est mal vécue par beaucoup d’hommes. Pour d’autres, en avoir trop peut être une source d’insécurité. Aurélien, vendeur dans la cosmétique de 22 ans, nous raconte comment sa pilosité a créé des complexes avec lesquels il apprend à vivre et qu’il essaie de surmonter.
« J’ai toujours vécu mes poils comme une grande source de mal-être. Ça a commencé avec le duvet de ma moustache, que je n’osais pas toucher de peur qu’il repousse encore plus visible. Puis, il y a eu les poils sur le torse, que je me suis empressé de raser. Mais c’est vraiment lorsque j’ai commencé à avoir des poils sur le dos, à la fin du collège, que c’est devenu un vrai problème. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu me débarrasser, ou du moins cacher, mes poils.
Regard des autres et de soi
Plein de choses ont dû contribuer à me construire ce complexe. Il y a eu les moqueries, bien évidemment. Je les essuyais aussi car j’étais efféminé mais, étrangement, ce sont celles sur mes poils qui m’ont le plus marqué. Mon petit surnom, c’était Chewbacca… c’était violent ! Je voyais aussi le regard que les autres portaient sur les poils en général. J’ai un père très poilu. Quand on allait à la plage, je voyais la surprise ou le dégoût que cela pouvait causer. C’est des trucs que tu remarques quand tu es gamin. Tu n’en parles pas vraiment mais tu intériorises.
A tout cela s’ajoute mon regard sur tous les corps que je voyais partout et qui n’étaient pas comme le mien. Quand on est un homme, j’ai l’impression qu’il y a un pack de poils à avoir. Si tu as une barbe, un peu de poils sur les jambes et sur le torse, c’est bien. Si tu commences à en avoir sur le dos ou les épaules, là ce n’est plus possible. Il y a tout de suite cette idée que c’est quelque chose de sale ou, du moins, qui fait « négligé ». Je ne comprenais pas pourquoi j’avais un corps différent de la norme dans laquelle je voulais absolument entrer.
« J’ai arrêté de porter des t-shirts »
Rapidement, mes poils ont influé sur ma manière de me comporter. Par exemple, j’ai arrêté de porter des t-shirts pour ne pas que l’on voit mes poils du dos quand j’étais assis en classe. J’ai aussi adopté ce tic de toujours tirer sur l’encolure de mes hauts pour être sûr qu’ils remontent bien derrière. Je ne me mettais pas non plus torse nu. J’ai vécu pendant dix ans sur une île en plein océan indien mais je n’allais jamais à la plage. Tout ce que je pouvais faire pour masquer ma pilosité, je le faisais. J'ai vite décidé d’aller chez l’esthéticienne. Je n’avais qu’une envie : être débarrassé de tout ça. Et ça a été un petit soulagement. Je me suis autorisé à aller à la piscine et à m’habiller comme je voulais, du moins pendant deux semaines. A la repousse, je retombais dans mes travers.
Vers l’acceptation
Depuis un ou deux ans, je commence à assumer un peu plus ma pilosité. Instagram m’a beaucoup aidé. J’ai suivi des mecs qui avaient des poils et ça m’a redonné un peu confiance en moi. Voir qu’ils avaient des abonnés qui ne voyaient pas leur toison comme le mal incarné, c’est ce dont j’avais besoin. Je me suis mis à poster des photos de mon torse et je n’ai pas eu de réactions négatives. Au contraire, les gens étaient plutôt réceptifs, certains me disaient même que c’était sexy. Ça m’a gonflé l’égo et ça m’a permis d’être un peu plus OK avec ça. J’avais besoin de cette validation. Sans, je n’aurais pas été plus loin, c’est certain.
Mais je ne me sens toujours pas à l’aise avec mes poils du dos. Impossible que je me passe de mes rendez-vous chez l’esthéticienne. J’ai l’impression que j’ai tellement intégré le truc que ne plus y aller serait me négliger. C’est un peu la solution de facilité, de m’en débarrasser plutôt que d’assumer. Mais je me dis que pour l’instant ça me permet de me sentir mieux. Avant la plage ou même un date, c’est un passage obligatoire. Quand je n’ai pas le temps d’y aller, je continue à ne mettre que des chemises ou des cols cheminées. Au quotidien, cela me préoccupe toujours énormément.
Un complexe dur à comprendre
J’ai l’impression que les gens ne se rendent pas compte que l’on peut complexer sur nos poils. Souvent, on va te faire des petites remarques dessus, pas méchantes, mais qui vont profondément te marquer. Ce sont des petites choses mais qui peuvent contribuer à un mal-être plus grand. Et puis, il y a un aspect un peu bipolaire : d’un côté on te dit de ne pas te plaindre car tu as ce symbole de virilité, de l’autre on te fait comprendre qu’il faut les enlever. On démocratise de plus en plus l’épilation chez les hommes aussi. C’est cool de montrer que c’est une option. Mais le problème, c’est quand on sous-entend qu’il est obligatoire d’en passer par là pour être bien.
Je ne pense pas avoir déjà parlé de ce complexe avec qui que ce soit, à part peut-être mon père, mais qui lui ne l’a jamais mal vécu. Il est d’une autre génération… C’est bien d’aborder le sujet pourtant : c’est en échangeant qu’on peut se libérer et relativiser. A terme, ça serait cool que je finisse par ne plus en avoir rien à faire de mes poils. Mais on n’y est pas encore. »