“Pourquoi j’ai commencé à prendre soin de moi” : Anthony parle d’amour-propre et de sa routine skincare pour une bonne mine
Photos Charlotte Rosati
Texte Anthony Vincent
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Pour commencer cette nouvelle série de témoignages “Pourquoi j’ai commencé à prendre soin de moi”, Anthony, journaliste mode/beauté (et accessoirement pigiste pour Horace). Le jeune homme de 27 ans reçoit et teste beaucoup de produits au quotidien. Il nous raconte comment il prend soin de lui et ses réflexions sur l’amour-propre.
Depuis tout petit, j’entretiens une relation compliquée avec ma peau. D’abord parce que je fais énormément d’eczéma en temps normal, et encore plus en période de stress. J’écris depuis plusieurs années sur la culture, la mode, la beauté et les questions d’identité. Ce qui m’a peut-être rendu plus soucieux que la moyenne de mon apparence, à force d’étudier celle des autres. Quand vous passez vos journées de travail à scruter les looks de chacun et les nouveautés beauté, vos moindres défauts cutanés ou pileux vous sautent au visage.
Une routine à rallonge ne rend pas plus beau
Quand je travaillais au journal Grazia en 2015, puis au Figaro jusqu’en 2017, je voulais tout tester. J’ai commencé à recevoir de plus en plus de produits, vantant des miracles dermatologiques, grâce à des ingrédients méconnus venus du bout du monde. Naïvement, j’ai pu croire que cette surenchère me rendrait plus beau et mieux dans ma peau. J’utilisais même plusieurs produits de maquillage pour camoufler la moindre imperfection. Mais j’ai dû finir par admettre que le temps passé dans la salle de bain n’était pas proportionnel à mon bien-être.
Et puis je me suis mis en couple avec un mec qui utilisait un même gel douche en guise de shampoing, de nettoyant visage et corps. Sa trousse de toilette contenait juste en plus un déo, une brosse à dents et du dentifrice. Et sa peau était bien plus nickel que la mienne. Je me suis quand même servi de lui comme cobaye des nouveautés que je recevais. Je lui appliquais des masques visage savants, des gommages corps luxueux, et des produits coiffants pointus. Mais ça ne le rendait ni plus beau, ni plus confiant. Il était juste heureux de ce temps intime supplémentaire passé ensemble. L’absurdité de la situation m’a poussé à admettre la grande part de loterie génétique quand il est question de peau.
L’amour-propre n’a pas de prix
Au fur et à mesure de notre relation, dans la salle de bain, sur l’oreiller, mais surtout par son regard, il m’a appris sans le vouloir ce qu’était l’amour-propre. Cette chose qui le rendait si beau à mes yeux et dont je manquais cruellement. Qu’on ne peut pas cibler dans un miroir, même grossissant, mais qui se devine quand même dans l’apparence. Qu’on ne peut pas acheter, mais qu’on peut quand même cultiver. Longtemps, je confondais ça avec la notion d’estime, que j’associais à l’idée de valeur et de mérite. Les anglophones n’ont pas d’expression équivalente à celle “d’amour-propre”, et c’est justement toute l’ironie du français et ses multiples sens.
“Propre” signifie “soi”, mais raconte peut-être aussi quelque chose de l’appartenance et de la propreté, du soin. L’amour-propre s’avère inestimable, un enjeu de bien-être et de dignité. Ce n’est pas parce qu’on dépense plus de temps et d’argent dans son apparence qu’on va se sentir automatiquement mieux et plus confiant. Mais c’est parce qu’on va le faire avec soin et amour-propre que cela joue sur le bien-être, sans être une science exacte, prédictible et calculable.
Prendre soin de soi en tant qu’homme noir tient de la résistance
Depuis que je pense avoir compris ça fin 2018, je passe quand même une éternité et demie dans la salle de bain, avec toujours pas mal de produits. Mais j’ai arrêté de vouloir corréler tout ça à ma valeur. En anglais, l’expression “black don’t crack” insinue que les personnes noires ne vieillissent pas. Soi-disant parce que leur peau riderait plus lentement que celles des personnes blanches. Peut-être que des enjeux génétiques expliquent cela. Mais je ne peux m’empêcher de penser que cela raconte aussi beaucoup de la résilience face à l’adversité. La géographe afro-américaine Ruth Wilson Gilmore définit d'ailleurs le racisme comme une exposition différenciée à une mort prématurée*. Les statistiques ethniques aux États-Unis le prouvent depuis longtemps, et la mortalité face au Covid en Seine-Saint-Denis le suggère lourdement aujourd’hui en France. Structurellement, on a moins de chance de faire de vieux os quand on est noir, a fortiori un homme.
Alors je m’octroie le temps de prendre soin de moi comme une forme de résistance. Je me lave le soir avec l’huile lavante pour peaux atopiques de SVR, et m’hydrate avec le baume intensif corps de la même marque. C’est le combo qui prévient le mieux mon eczéma tout en étant super réconfortante. Sur le visage, j’utilise le nettoyant et le tonique Horace. Puis j’applique le Sérum à l'Acide Hyaluronique que je laisse pénétrer quelques minutes, avant de terminer par l’hydratant riche Horace. J’aime bien nourrir ma barbe de macérât huileux de carotte ou d’huile de rose musquée en débordant volontairement sur le haut des pommettes, car leur couleur naturellement orange me donne bonne mine. On ne glowe jamais trop !
Rendre mon futur moi reconnaissant
Je m’entretiens aussi depuis septembre 2020 en faisant de la boxe trois fois par semaine pour me défouler du stress. Et en courant 10 km tous les week-ends avec ma coloc’ pour mieux papoter. Tout cela combiné me procure une forme de paisible équilibre. Je dors mieux, mange mieux, et me connaîs mieux. Je comprends enfin ces gens capables de dire que leur “corps est un temple” pour refuser de la malbouffe. Clairement, j’adore encore en déguster, mais j’en ai beaucoup moins envie, et suis convaincu que mon futur moi sera reconnaissant que je prenne plaisir à prendre soin de moi aujourd’hui. Je me traite comme mon meilleur pote, et c’est hyper agréable.
Dans l’épilogue de son essai “Burst of Lights” (1988), l’intellectuelle afro-féministe Audre Lorde écrit : “Prendre soin de moi ne tient pas de l’indulgence égocentrique, mais de l’auto-préservation et c’est un acte de combat politique.” En tant que femme noire lesbienne aux États-Unis, elle résume ainsi une intuition développée par de nombreuses personnes minorisées, dont je fais partie : combien le racisme systémique, mais aussi l’homophobie, et d’autres opressions structurelles, compliquent l’amour-propre. Alors ça peut sembler tiré par les cheveux, mais oser prendre soin de moi aujourd’hui est une révolte. Une révolution du care.
* “”Racism, specifically, is the state-sanctioned or extralegal production and exploitation of group-differentiated vulnerability to premature death.” — Ruth Wilson Gilmore, “Golden Gulag: Prisons, Surplus, Crisis, and Opposition in Globalizing California”, University of California Press, 2007