Comment je me suis préparé à courir un Ironman
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Texte Martin Lacroix
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L'une des courses les plus difficiles du monde, tout simplement.
Nous avons demandé à Thibaut Blomart, ingénieur commercial, de nous raconter comment il s'était préparé pour courir l'Ironman de Nice, l'une des épreuves sportives les plus intenses au monde. Au programme ? Après le départ de la plage du Centenaire, 3,8 kms de natation en eaux vives, dans la Méditerranée, suivis de 180 kms de vélo et d'un marathon, pour conclure. Propos recueillis par Martin Lacroix.
Thibaut Blomart, 34 ans, est ingénieur commercial pour un grand groupe du secteur de l’énergie. Il y a 4 ans, il participait à l’Ironman de Nice. Rien à voir avec le super-héros Marvel à armure jaune et rouge : il est ici question d’un triathlon (très) long format, sur 226 kilomètres, réservé aux plus solides, physiquement comme mentalement, d’entre nous. Il nous a raconté les coulisses de sa préparation. Spoiler alert : ce fut intense.
Comment t’est venue cette idée folle de participer à un Ironman ?
Depuis des années, je suis passionné par les événements de longue et très longue distance. J’ai toujours regardé des vidéos sur Youtube d’Ironman, de trails longs, et autres courses du genre. Une année, des amis m’ont poussé à faire le triathlon de Paris, qui se court sur une distance olympique, c’est à dire 1 km et demi de natation, 40 kms de vélo et 10 kms de course à pied. C’était un peu un challenge. On l’a fait ensemble, on s’est marré, mais surtout on a vu que c’était accessible. Suite à ça, on a eu envie d’aller un peu plus loin et on a décidé de s’inscrire à un semi-Ironman. Je me suis vite dit que puisqu’il allait falloir s’investir et faire des sacrifices, autant y aller à fond et s’inscrire à un Ironman. J’ai motivé les deux autres pour qu’ils se joignent à moi. Ils ont fini par suivre.
Tu faisais déjà un peu de compétition?
J’ai fait beaucoup de trail. La Saintélyon, l’Ecotrail, la Maxi-Race, qui sont des courses de 70-80 kms avec entre 1500 et 5000 mètres de dénivelé. Ensuite, j’ai fait des petits trails à Paris et le semi-marathon de Paris. Je courais régulièrement au Parc de la Tête d’Or lorsque j’habitais Lyon, puis un peu partout à Paris : parc de Saint-Cloud, Boulogne, Montmartre...
Avant l’Ironman, à quelle fréquence faisais-tu du sport ?
Je faisais beaucoup de sport entre midi et deux dans le cadre du travail. Ça me permettait de me libérer. Beaucoup de natation, de course à pied. A l’époque je travaillais chez Alstom, à Levallois, donc j’allais courir sur l’Île de la Jatte et nager à la piscine de Neuilly. On ne devait pas être très loin d’une fois par jour.
Revenons-en à la préparation. Comment celle-ci s’est-elle déroulée ?
On s’est dit qu’il nous fallait une structure, car on avait tous des métiers assez prenants. Si on n’avait pas des plages horaires prédéfinies, on aurait du mal à se motiver, surtout pendant l’hiver où il fait froid et nuit très tôt. De toi-même, tu n’as pas envie d’aller dehors pour courir ou faire du vélo. Nous nous sommes donc inscrits dans un club spécialisé, le Lagardère Triathlon Club. Il se trouvait derrière les Invalides mais n’existe plus aujourd’hui. Un entraîneur est mis à ta disposition avec plusieurs entraînements par jour et tu choisis ceux auxquels tu veux participer.
A ce moment-là, saviez-vous quel investissement personnel cela allait vous demander ?
On savait que ça allait être compliqué. On s’est surtout rendu compte quand on a commencé à s’entrainer qu’on partait de plus loin qu’on ne le pensait, on avait de grandes difficultés à suivre un entraînement de natation, par exemple. J’avais l’avantage, par rapport aux autres, d’avoir fait de la natation et de la course à pied à haut niveau amateur. Les autres, en arrivant dans la piscine, lorsqu’ils ont vu qu’ils n’arrivaient pas à faire 800 mètres et qu’il faudrait faire 4 kilomètres en sortant frais avant de monter sur un vélo, ils se sont vus devant une montagne, pensant que ce serait impossible. La première sortie à vélo avec le club, on s’est vite fait lâcher. On s’est retrouvé tous les trois derrière et on a fini la sortie seuls. Surtout, à force de s’entraîner, on a commencé à être constamment fatigués. Chaque jour qui passait semblait rendre la tâche de plus en plus ardue.
Comment s’organisaient les entraînements ?
Le coach du club anime les entraînements des trois sports. C’est soit le matin très tôt entre 7:00 et 8:30, soit le soir vers 20:30, 21:00 jusqu’à 22:30, parfois 23:00. Le week-end, il y avait des sessions le samedi et le dimanche. Le samedi, vélo le matin, course à pied à midi et une session de natation le soir. Le dimanche était entièrement consacré au vélo.
Peux-tu me détailler le déroulement de ces séances ?
En piscine, tu as des lignes de niveaux. Tout le monde doit faire 300 mètres. Les premiers qui finissent les 300 mètres repartent sur 5 X 50 mètres papillon et ainsi de suite. Le coach a un sifflet et dès qu’il siffle, il faut repartir. Dès qu’il faut redémarrer, tu dois redémarrer car les autres derrières te poussent. T’es dans le feu tout le temps.
La course à pied c’est pareil. On faisait du fractionné en côte au Trocadéro, du fractionné sur piste, des sorties longues. Après un moment d’échauffement, ça dure 40 minutes, non-stop. Quand tu te réveilles le lendemain, tu ressembles à un robot, tes muscles sont complètement atrophiés.
On imagine aisément que, mentalement, c’est rapidement devenu compliqué. Qu’en était-il réellement?
La chance qu’on a eue c’est de s’être lancés à trois. Ça a été vraiment essentiel pour qu’on tienne le rythme car on se soutenait à chaque fois qu’un n’était pas motivé. On s’est vachement tiré vers le haut pour garder le rythme, suivre la fréquence des entrainements et continuer. L’esprit dans notre club était très, trop, compétitif : les gens n’étaient pas forcément hyper sympa. Avec nous, il y avait des traders, des patrons d’entreprises, des avocats d’affaires, des gens à grosse responsabilité évoluant dans des univers très compétitifs et qui continuaient dans cette voie dans le sport. L’ambiance n’était pas très cordiale. En plus, tu es toujours fatigué à cause de l’intensité de l’entraînement.
Pour votre part, vous étiez plus dans une logique de challenge que dans la recherche de performance, c’est ça ?
Exactement, le challenge était l’unique dimension. Notre but, c’était de finir. Nous voulions simplement pouvoir dire « on a fini un Ironman ». Au début de l’année on ne pensait même pas que c’était réalisable, et qu’on y arriverait.
En quoi cette lourde préparation a-t-elle influé sur ton quotidien ?
C’est un tel investissement d’énergie que tu es obligé de tout centrer autour de cela. Il y a trois grands facteurs de réussite. Le premier c’est l’entraînement. Ensuite, évidemment, il y a la récupération et la nutrition. Il faut beaucoup dormir pour que ton corps puisse accumuler la charge de travail que tu lui demandes.
Tu dormais combien d’heures par nuit ?
Pas beaucoup plus qu’avant. Le week-end, cependant, tu ne sors pas jusqu’à 4 heures du matin quand tu sais que le lendemain, tu dois faire du sport. Même quand tu veux faire la fête, tu es tellement épuisé de ta semaine que tu ne passes pas les 2:00 du matin. Si tu ne te reposes pas assez, sur le long terme ton corps te dit stop, et c’est là qu’intervient la blessure. Personnellement j’ai fait attention à beaucoup plus de choses.
Ton alimentation a beaucoup changé ?
Je buvais déjà pas mal d’eau la journée et j’ai fait attention à ce que ça reste une constante. Je buvais environ 1 litre et demi d’eau par jour. J’essayais de consommer beaucoup d’aliments qui permettaient de récupérer. Dans mon souvenir c’était beaucoup de pois chiches, de lentilles, des brocolis. Il faut éviter la viande rouge, privilégier la viande blanche. Éviter de manger trop gras pour que ton corps ne se fatigue pas à digérer. Comme tu fais beaucoup de sport, tu as faim tout le temps. Entre les repas c’était plutôt des fruits secs, des petites barres énergétiques. Et j’ai arrêté de boire de l’alcool pendant à peu près dix mois.
Comment ton corps s’est-il adapté à ces changements ?
J’ai perdu beaucoup de poids, j’ai littéralement fondu. Mes compétences physiques ont vraiment évolué avec les entraînements très intensifs, très qualitatifs. J’avais déjà des notions de natation et de course à pied mais j’ai vraiment progressé sur ces deux disciplines, grâce au coach notamment. Je nageais mieux, plus vite, plus longtemps. Il y a un vrai sentiment de progression. C’est paradoxal parce que d’un côté, la fatigue due à l’effort physique est immense, et d’un autre tu te sens bien, serein, vraiment en phase avec ton organisme. Tu es performant et à n’importe quel moment si tu me disais : « on va courir un marathon ? », j’étais prêt !
A l’approche du jour J, comment tu regardais tout le travail que tu avais effectué ?
À l’approche de la course, lorsque tu vas t’entraîner, tu te sens bien. Tu es à l’aise. Le seul danger, c’est la blessure à l’approche de l’événement. Si tu te blesses, tu t’es entraîné pour rien – il y a une forme de pression. On s’est tous blessés un petit peu mais heureusement, rien de grave. J’ai eu un décollement des muscles rattachés aux tibias. Sur les deux derniers mois, j’étais obligé de ne m’entraîner que sur les sports portés, c’est à dire la natation et le vélo. Pas de course à pied.
Raconte-moi le jour J.
Le matin, tu vas vérifier que tout va bien avec ton vélo. Il est 6 heures du matin et tu te diriges sur la plage. Les pros partent avant, donc tu regardes leur départ. Après il y a le décompte : là, tu te dis que ça y est. 2500 personnes partent en même temps, c’est assez effrayant. Je n’ai vécu ça qu’une seule fois dans ma vie. Tu es littéralement poussé par les gens derrière toi pour te jeter dans l’eau. Quand tu arrives au niveau de l’eau, tu ne sais pas où tu peux te jeter car il y a des gens partout. Tout le monde se nage dessus, tu prends des coups, c’est très dangereux. Si tu fais un malaise ou une attaque de panique, personne ne te voit et tu passes en dessous - c’est terminé. Il faut savoir se défendre, se placer. Ça a duré pendant à peu près 800 mètres comme ça.
Comment on se sent une fois la ligne d’arrivée passé ?
La course, pour moi, a duré un peu plus de 12 heures. Une fois la ligne passée, tu penses à tous les sacrifices que tu as faits, tous les entraînements, toutes les heures de piscine, de course à pied, de vélo. C’est indescriptible, c’est vraiment un accomplissement. Tu es perdu, mais tu te dis que c’est incroyable. Tu es extrêmement content et fier de toi. Un quart d’heure après, tu es allongé dans l’herbe, tu te laisses aller totalement, puis c’est fini. 24 heures après je retournais au boulot, comme si de rien n’était !
Aujourd’hui, 4 ans après, quels bénéfices as-tu tiré de cette expérience ?
J’ai gardé une petite discipline. Je cours deux fois par semaine pendant environ 1 heure, et je vais nager une à deux fois par semaine, des sessions de 3 kilomètres, surtout du Pool Boy (technique permettant, grâce à deux petits flotteurs accrochés aux chevilles, de n’utiliser que ses bras, ndlr). Je veille toujours à mon hydratation et à mon alimentation, avant et après l’effort, ce qui permet une meilleure récupération. Surtout, j’ai vraiment appris la notion de dépassement de soi dans l’effort. Je sais aujourd’hui, et ça ne vaut pas que dans le sport, que je peux faire des choses plus grandes que je ne l’imagine, parce que je sais que le mental s’acquiert. D’ailleurs, avec un ami on est en train de réfléchir à préparer un nouvel Ironman, à Miami en novembre prochain !