Trois chefs expliquent comment lutter contre les odeurs en cuisine
Photos Bastien Lattanzio
Texte Horace
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Michael Greenwold, James Whelan et Mauricio Zillo révèlent leurs secrets pour lutter contre les odeurs de cuisine
Les chefs sont partout. Dans la dimension la plus grand public, on s’attache facilement aux candidats de Top Chef, suivant leurs pérégrinations. Dans la version plus confidentielle - et drôle - encore, on jette un regard amusé sur les vidéos, produite par Munchies, de chefs réputés cuisinant des snacks nocturnes après une soirée agitée. Le chef de cuisine, toque bien rangée, s’expose en couvertures de magazine, bien loin de la seule sphère des initiés. Pourtant, on entend rarement un mot sur un aspect moins sexy de leur travail : les odeurs.
Le problème touche les cuisiniers de tous horizons et de toutes sensibilités. Certains, toutefois, sont moins bien lotis que d’autres. C’est le cas de James Whelan. Propriétaire du Sunken Chip, restaurant servant un fish & chips traditionnel tout près du Canal Saint-Martin, il se retrouve fréquemment derrière les fourneaux (ou plutôt les friteuses) du restaurant comme du food truck qui l’accompagne, sillonnant les évènements à Paris et ailleurs. La friture, dit-il, est un fléau. Du genre qui s’accroche aux vêtements et aux cheveux.
Les chefs les plus créatifs connaissent également ce vilain défaut du métier. Mauricio Zillo, chef brésilien étoilé à Milan, ancien de Bocuse et du Meurice, qui vient d’ouvrir à Paris le restaurant A Mere, avec un associé ancien sommelier du Georges V, parle d’inconvénient « inévitable ». Comme une fatalité. « Deux jours par semaine, le week-end, j’utilise tout le parfum que je n’utilise pas dans la semaine ! » s’amuse-t-il. Se classant volontiers dans la catégorie des cuisiniers classiques (« qui ne font pas particulièrement d’efforts pour leur image, presque bourrins »), il nous remerciait pourtant dès le lendemain, après avoir visité un salon de manucure sous nos bons conseils.
« On ne se rend plus forcément compte après des années en cuisine », explique Michael Greenwold, ancien chef du Roseval avec le Sarde Simone Tondo et ancien associé de James au Sunken Chip. Ce chef britannique, ancien de La Gazzetta où il a côtoyé Giovanni Passerini de Rino et travaillé sous l’égide de Petter Nilsson, raconte amusé des souvenirs de retour en métro plus qu’embarrassants après le service : “je sentais le regard pesant des gens sur moi !”.
De là à renoncer à préparer certains produits ? Pas du tout, à en croire les chefs. Michael, par exemple, raconte comme une histoire un plat phare de son passé au Roseval : des ravioles, des sardines cuites à la plancha et un bouillon de sardines brûlées préparé dès le matin. « Un moyen efficace de sentir bon toute la journée ! », dit-il. On le croira sur parole - le chef déconseille de cuisiner des sardines chez soi. Mauricio, lui, parle d’une recherche de la bonne odeur. « On cherche à tout prix à éviter les mauvaises odeurs, d’autant plus que l’on a chez A Mere une cuisine ouverte », explique-t-il. Une contrainte supplémentaire, niveaux odeurs, évidemment, mais avec laquelle il a l’habitude de jongler : il travaillait déjà dans des conditions similaires au Rebelot, son très coté restaurant milanais.
Les odeurs justement, toujours mauvaises ? Non, à en croire nos chefs. Au contraire, elles sont placées au centre d’un processus créatif. « Pour moi, une odeur joue plus sur la mémoire gustative que le goût lui-même : une odeur peut te rappeler ton enfance, te ramener à un endroit précis » explique Mauricio. « On utilise toujours l’aspect aromatique de la cuisine, en faisant des infusions, presque des parfums », précise-t-il. Michael en rajoute, raconte que certaines combinaisons d’ingrédients lui viennent à la cuisson, lorsque les effluves se mélangent. Elles participent également à l’ambiance du restaurant : « au Roseval, on faisait rôtir la viande avant le service, et les clients avaient rapidement l’eau à la bouche ! », raconte Michael.
James est bien loin de ces problèmes là, nous confie-t-il l’air presque désabusé : « personnellement, je ressens cela lorsque je cuisine chez moi, mais au restaurant, j’évolue dans un cadre volontairement restreint ». En effet, en cuisinant du fish & chips, James travaille sur les deux produits les plus souvent évoqués par nos chefs au moment d’évoquer les mauvaises odeurs, le poisson et la friture. Il jette pourtant un regard amusé sur la question : « au moins, après le service, je sais que je sens mauvais, il n’y a rien à faire ! ». Surtout lorsque, pour des évènements, il enchaîne les services de douze heures dans l’espace très restreint du Food Truck : « le camion, c’est tous les problèmes d’une cuisine, mais amplifiés ».
Conscients du problème des odeurs pour eux comme pour les moins initiés, Michael Greenwold, James Whelan et Mauricio Zillo ont accepté de livrer quelques conseils à Horace pour lutter contre le problème.
1. Les cheveux
Mauricio, comme James, ont trouvé une solution simple. Tous deux se rasent la tête, « le moyen le plus simple pour éviter que les odeurs s’accrochent au cheveu », explique James. En revanche, pas de toque. « Ça provoquerait d’autres odeurs, presque de renfermé », dit Mauricio. À bannir, donc. « C’est too much », explique Michael, qui n’a pourtant pas fait le choix de la tête rasée. « Je me lave les cheveux tous les jours, avec un shampoing doux », dit-il, pour éviter que ses cheveux ne sentent.
2. Les mains
Pour éviter que les mains ne sentent, tous les chefs ont leur astuce. Mauricio est adepte de secrets connus, presque séculaires : le jus de citron, le vinaigre, et la lame du couteau en inoxydable (évidemment pas du côté coupant, ce qui ne ferait qu’empirer votre état) frottée contre les doigts. Michael, lui, évoque les savons éternels en acier inoxydable, permettant, avec de l’eau froide, de lutter contre les diverses odeurs, mais aussi l’importance d’avoir un savon de qualité dans son restaurant : « un truc volé à Inaki Aizpitarte, lorsque j’ai commencé à travailler au Chateaubriand, au tout début : il avait mis dans les toilettes un savon qui sentait très bon, un vrai plaisir après le service ! ». Plus généralement, James avoue volontiers que sa manière de lutter contre les odeurs est simple : « je me lave les mains cent fois par service, j’ai probablement les mains les plus propres de Paris ! ». Le lavage très fréquent des mains assèche la peau des mains abîmées par la cuisine. Dès lors, une crème réparatrice permet de garder des mains prêtes à saluer la totalité des clients d’un restaurant.
3. Du problème des rendez-vous
Qu’il soit galant ou professionnel, le rendez-vous impose d’être un minimum présentable. Mauricio, pourtant, n’en a que faire : « les gens savent que je suis cuisinier, et généralement, les femmes aussi. Il faut s’y faire, je sens, c’est comme ça ! ». Spécialiste de la cuisson fumée, Michael évoque les avantages de ce mode de cuisson : « j’ai l’impression que ça plaît, ça donne un côté homme des cavernes appréciable ! ». Le fish & chips n’a pas le même pouvoir d’attraction, au grand dam de James : « une fois, après le service le plus intense jamais fait au truck, je suis allé voir un concert privé de Cat Power. J’avais mis un t-shirt propre, mais l’odeur imprégnait ma peau, je crois, puisque les gens refusaient de m’approcher ! ». Dès lors, la solution paraît simple : mieux vaut éviter de programmer ses rendez-vous dans des restaurants réputés pour la qualité de leur friture, ou de leur viande fumée. La cuisine italienne, par exemple, permet d’être sûr de ne pas se retrouver à embaumer tout un bureau avec les effluves de son déjeuner.
4. Un aliment à éviter pour les odeurs ?
« La cuisson sous-vide, c’est terrible. La viande, par exemple : le sang coagule, ça fait des odeurs bien plus mauvaises qu’une cuisson classique ! » nous explique Mauricio. Pour Michael, c’est le fumé : « parfois, au Roseval, il y avait de la fumée partout ! Il est même arrivé que les pompiers viennent vérifier que tout allait bien. Et l’odeur sur les vêtements… ». Ensuite, évidemment, l’ail, l’oignon, la friture et le poisson sont tous évoqués par nos chefs, qui n’y renoncent pourtant pas tant ils sont souvent indispensables. James préfère en rire : « oui, j’évite le poisson ! Enfin… je reste en salle ».
A Mere 49 rue de l’Échiquier 75010 Paris +33 1 73 20 24 52 Ouvert du lundi au vendredi pour le déjeuner et le dîner
The Sunken Chip 39 rue des Vinaigriers 75010 Paris +33 1 53 26 74 46 Ouvert du mardi au dimanche pour le déjeuner et le dîner